La Cour d’Appel de POITIERS a rendu 5 arrêts d’une très haute importance en matière de violence intra-familiale.
Les 5 décisions ayant conduit aux arrêts énoncés sont :
- TJ LA ROCHELLE, chambre correctionnelle du 11 mai 2023
- TJ LA ROCHELLE, chambre correctionnelle du 8 avril 2021
- TJ SAINTES, chambre correctionnelle du 11 avril 2023
- TJ NIORT, chambre correctionnelle du 2 décembre 2021
- TJ LA ROCHE SUR YON, chambre correctionnelle du 22 juillet 2021
La Cour d’Appel de POITIERS est entrée en voie de condamnation dans ces 5 arrêts pris le même jour par sa chambre correctionnelle le 31 janvier 2024.
Elle a fait œuvre de pédagogie qu’il convient de détailler pour mieux comprendre les mécanismes sous-jacents des violences conjugales.
La notion de contrôle coercitif avait été théorisée par le sociologue américain Evan Stark qu’il qualifie de « crime de liberté » car il s’agit bien de cela : ôter la liberté de la personne que l’auteur de violences dit aimer.
Toujours selon cet auteur, la coercition désigne « le recours à la force ou aux menaces » et le contrôle recouvre « les formes structurelles de privation qui contraignent indirectement à l’obéissance en monopolisant les ressources vitales, dictent les choix préférés, micro-régulent le comportement de la partenaire, limitent ses options et la privent des soutiens nécessaires pour exercer un jugement indépendant »
La notion de contrôle coercitif , objective, s’intéresse au mode de fonctionnement de l’auteur des violences alors que la notion d’emprise, plus subjective, s’intéresse à la victime elle-même.
Je ne peux pas faire l’économie de citer les termes extrêmement précis de la Cour d’Appel de Poitiers qui, à mon avis, nous donnent à nous praticiens , des clés pour mieux cerner ce principe du contrôle coercitif de l’auteur sur sa victime ;
« les agissements de M(..) sont divers et cumulés. Pris isolément, ils peuvent être relativisés. Identifiés, listés et mis en cohérence, ils forment un ensemble ; les outils du contrôle coercitif. Ils visent à piéger sa femme dans une relation où elle doit obéissance et soumission à un individu qui s’érige en maître du domicile et du fonctionnement familial.
Ces actes ne peuvent s’expliquer que comme le résultat d’inconduites individuelles : frustration, colère, alcoolisation, désocialisation, déséquilibre psychologique ou maladie mentale, manque de maîtrise des émotions. Ils s’inscrivent dans un mécanisme collectif et historique d’inégalités structurelles entre les femmes et les hommes et leur manifestations dans le couple et la famille (….)Le tout vise à contrôler, minorer, isoler, dévaloriser, capter , fatiguer, dénigrer, contraindre.
(…) La violence physique n’est que la partie la plus visible de cet échafaudage de comportements. Le contrôle coercitif est permanent et cumulatif. Ce schéma de conduite est calculé et déployé pour contrôler la vie des femmes. Il fait peser un danger sur la femme et un risque indissociable sur l’intégrité psychologique et physique des enfants (…)
Le contrôle coercitif est une atteinte aux droits humains, en ce qu’il empêche les victimes de jouir de leurs droits fondamentaux comme la liberté d’aller et venir , de s’exprimer, de penser, d’entretenir des liens familiaux ».
Il convient de rappeler les 4 cycles existants dans les violences conjugales :
- La période de tension : du côté de l’auteur cela se manifeste par de la colère et/ou des silences et du côté de la victime par de la peur
- La période du passage à l’acte violent : il s’agit de l’agression
- La période de la justification : minimisation des faits, excuses, promesses d’un meilleur avenir, faute de la victime
- La période de rémission ou « lune de miel » où l’auteur et la victime semblent de nouveau en phase
Les professionnels du droit ont été formé sur ces 4 cycles car il fut un temps où un policier ne croyait pas une victime qui changeait d’avis ; il y avait les « bonnes « et les « mauvaises « victimes ; celles qui pleurent et sont en colère et celles qui semblent hésitantes comme si elles avaient leur part de responsabilité dans ce qui leur arrivait.
Or, ces « mauvaises « victimes étaient tout simplement en phase de rémission et de « lune de miel » mais la phase de tension allait repartir engendrant ensuite une énième agression.
Les violences sont de différents ordres :
- Les violences physiques
- Les violences psychologiques
- Les violences verbales
- Les violences sexuelles
- Les violences économiques et/ou administratives (non accès aux comptes bancaires, confiscation des chéquiers ou cartes bancaires , rétention de documents administratifs comme carte d’identité ou passeport etc..)
Enfin, une interrogation subsiste à la lecture de ces arrêts :
- Est-ce qu’un mari violent peut être un bon père ? il a déjà été tranché que les violences conjugales « en présence des enfants » constitue une circonstance aggravante et que l’exercice de l’autorité parentale reste une « arme » pour un mari violent en cours de séparation ou de divorce pour maintenir son contrôle coercitif sur celle qui n’est plus sa compagne ou sa femme mais encore la mère de leurs enfants ;
- une loi récente institue un retrait obligatoire de l’autorité parentale (ou de l’exercice de l’autorité parentale) en cas de crimes sur l’autre parent mais il n y a toujours aucun retrait obligatoire de l’exercice de l’autorité parentale et des droits de visite et d’hébergement du conjoint violent, en cas de violences conjugales même en cas d’ITT supérieure à 8 jours, et alors que l’enfant aurait assisté aux faits ; il existe dans ce cas précis uniquement une possibilité d’ordonner le retrait de l’exercice de l’autorité parentale mais aucune obligation.